1er prix : Valérie Tonnelier |
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Le vieil homme et l'oiseau.
Puisque la vie est ici, là je resterai
À regarder les vagues, bercées par le chaos
D'un monde d'infortune, qui plie comme un roseau;
Son fardeau l'importune, d'injustices résignées.
Puisque la vie est ici, là je t'attendrai
À sentir les embruns, teintés d'amertume,
De rancœur sans parfum. Vagues perles de brume,
D'un souffle saisissant, le vent j'expirerai.
Puisque la vie est ici, là je te verrai
T'avancer vers moi, me promettre à mes rêves.
Oublier le vent, voir le sage qui veille
D'un œil douloureux, sur des valeurs oubliées.
Puisque la vie est ici, là je déploierai
Mes ailes fatiguées, de battre un monde frivole
Un ciel, des nuages, avec toi prendre mon envol.
Puisque la vie est ainsi, loin je partirai. |
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2ème prix : Elodie Delfa |
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Le perdant magnifique
Il avale des yeux la foule dominicale,
Qui se presse à pas lents dans la rue hivernale.
Un tabouret usé et le poids de son ombre,
Porte le vieux poète sur son bout de trottoir.
Ses mains qui dansent, agiles, sur l'accordéon sombre,
Charmant son instrument, rallument son espoir.
Comme Montmartre est belle un matin de Dimanche !
Les frimas hivernaux ne gèlent pas ses doigts.
Le son que ses mains pleuvent dans le froid qui les penche,
Tangue son cœur qui bat au rythme de sa voix.
Il joue un air d'avant, de la valse musette,
Celui qui envolait les robes des promises.
Une larme perlée bientôt se cristalise
Et son regard se noie de ses pensées muettes.
Mireille du bistrot, vieille amie de toujours,
En entendant les notes est venue faire un tour.
Oubliant les frissons qui figent ses pensées
Elle retourne un instant au creux des nuits passées,
Où la musique alors lui capturait le corps,
De son rythme fougueux, en défiant la mort.
Mais la course du temps à présent l'a vaincu.
Et le vieux musicien dévore encor' la rue.
Il espère fébrile, de son air un peu fou,
Les hanches de sa belle, oh! Souvenir si flou.
Tout son être résonne de cet amour qu'il chante,
Dans la rue de Paris que désormais il hânte.
Son âme sœur, sa douce, son adorée, son tout
Brûle à jamais ses doigts esseulés et jaloux,
Et la larme perlée se réchauffe et se brise
Quand finit "l'air d'avant" qui retient sa promise. |
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3ème prix : Tiphaine Hadet |
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De samedis soirs d'été en lundi de novembre
Une mélodie chantée, et des corps qui se cambrent
Derrière chaque fenêtre, les artistes composent
Des pinceaux qui font naître, et des pianos qui osentUn endroit qui chavire, au front d’la capitale
Une rue qui inspire, sous un air pas banal
Satie dans son placard, au coin de son effroi
Une butte pleine d’histoire, et nos cœurs ici-bas
De douces mains qui sculptent en courtes jambes qui courent
Et la vie nous ausculte en nous faisant l’amour
Les tissus font la loi au cœur des Deux Moulins
Le sacré tend ses bras de nos soirs aux matins
Quelle que soit son époque, ce quartier nous enivre
De mes mots que je troque comme des morts qu’on fait vivre
La chaleur en hiver, au fond de tous les bars
Les bohèmes d’hier, et le cœur au hasard
Il n’y a plus personne au coin de cette rue
Juste des airs qu’on fredonne, semblant de déjà-vu
La tour qui nous enchante à côté d’Saint-Germain
Fréhel qui nous hante avec Brel ne font qu’un
Il n’y a plus personne au coin d’la rue Cortot
Cette seule femme nous donne du coin de l’œil son dos
On entend Dalida appeler son Gigi
Et ce poteau sans voix dissimule mes ennuis
Je regarde ce dos à l’abri de Montand
J’imagine tout haut une photo noir et blanc
Quelques touches de couleurs lui insufflent un plaisir
Celui-là ne se meurt qu’à la fin du désir |
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4ème prix : Luciano Cavallini |
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Madame Louise
Elle venait de terminer son savonnage, de distribuer le courrier et les journaux, de garnir la mangeoire du canari et de consoler la locataire du premier en rupture de couple. On l’appelait Madame Passe-Partout. Dans le quartier tout le monde s’en servait, le seul instant de repos qu’elle s’octroyait, c’était celui en fin de matinée, lorsqu’elle regardait la rampe d’escaliers menant ailleurs et plus loin. Ce devait être mieux en bas, plus coloré, il devait y avoir plus d’amour et d’humanité. Elle attendait que les lattes du parquet séchassent, en faisant mijoter son pot-au-feu, longuement, avec bien plus de légumes que de viande. Le cirage prenait lentement, et le savon noir collait dans les angles du bâtiment. Elle devrait encore courber l’échine sur les seuils, entendre le bonheur des autres murmurer derrières les paliers, quelques rires, un enfant qui pleure, la radio, un vieux disque vinyle, entre Brel, Barbara, et plus loin, beaucoup plus loin, l’appel du Général de Gaulle…
Elle voguait ainsi toute seule, entre les pierres de Montmartre, et les grands volubilis de fer forgé, fleurissant leurs yeux de verre exsangues sous la marquise du métro Abbesse.
Elle avait caché des juifs. Elle avait connu les caves de la Gestapo, rue de la Pompe, faisant partie de ses hurlements sourds que l’on avait jamais entendus, enterrés sous la plus banale normalité de la petite histoire. |
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5ème prix : Jean-Charles Paillet |
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Aurons-nous le temps de passer
D’une rive à une autre
De poser un pied sans se noyer
Sans toucher le fond
Si ce n’est de nous-mêmeAurons-nous le temps de poser
Un autre regard sur un autre visage
La nuit arrive si vite
Et les heures ne se remontent pas
Fragile fuite en avant
À chacun de nos pas
Aurons-nous le temps d’aimer
De nous aimer
Ne serait ce qu’un instant
Dans cette éternité que l’on sait comptée
Les yeux ouverts
Au bord du monde
Aurons-nous simplement le temps de vivre
Au milieu de ces quelques mètres carrés d’espace
Qui nous entourent et nous échappent
En aurons-nous le temps ? |
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6ème prix : Jacqueline Perriniaux |
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Reflets
La réalité implacable. La déception amère. Le rêve brisé.
On leur avait fait miroiter un eldorado de richesse et d’opportunité. Bien sûr, le trajet serait long, pénible, dangereux et cher, si cher, mais la récompense les attendait : un vrai travail bien rémunéré qui leur permettrait de manger à leur faim, de se loger, d’avoir des loisirs comme ces Européens nantis et même d’envoyer de l’argent à leurs familles restées aux royaumes de la faim, de la guerre, de l’oppression et de la misère.
Au péril de leur vie et au bout de tant de souffrances ils sont finalement arrivés dans la Ville Lumière, la capitale de l’art de vivre, la plus belle ville du monde. L’ardeur et l’espoir renaissaient après ces mois atroces mais n’ont duré qu’un instant.
Le Paris qu’ils ont découvert n’est plus qu’un pauvre reflet des posters et des images qui les attiraient comme des aimants. On n’y vit plus qu’en noir et blanc, avec une gamme infinie de gris et d’ombre. A défaut de pouvoir s’intégrer dans cette ville cosmopolite ils se retrouvent entre eux et voient exprimés dans le visage de l’autre le désespoir et la résignation qu’ils ressentent. Leur nouvelle misère se reflète à son tour dans les flaques sous la pluie incessante. Leur soleil brûlant leur manque et le soleil occidental ne se lève toujours pas. |
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7ème prix : Christophe Hassler |
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J'entends le bruit des vagues et le cri des mouettes
Je regarde cette mer s'étendre à l'infini
Et mon esprit s'évade, remonte les décennies
Je revois ce séjour de mai soixante dix septNous nous étions enfuis comme deux adolescents
Nous faisant porter pâles, laissant tout derrière nous
Rouler toute la nuit, rejoindre le Lavandou
Et voir naître le jour, heureux et frissonnants
Je revois ces images, et j'entends ce refrain
Que tu chantais souvent, que je sifflais sans fin
Rythmé comme notre vie, puissant comme notre amour
Aujourd'hui je suis seul, le mal t'a emporté
Mais tu n'es pas partie tu ne m'as pas quitté
Je ressens ta présence en chacun de mes jours |
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8ème prix : Evelyne Cosserat |
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Du haut d’un réverbère
Installé là depuis cent ans,
Ah, j’en ai vu passer des gens !
Et ceux qu’hier j’ai vus enfants,
Sont aujourd’hui des grands-parents.
J’ai vu dévaler des poussettes.
J’ai vu sautiller des fillettes.
J’ai vu cavaler des garçons,
Qui venaient jouer au ballon.
J’ai éclairé bien des chagrins,
Qui s’épanchaient sur ce chemin.
De doux serments, je fus témoin,
De bagarres et de coups de poings
Mais le plus beau jour de ma vie,
C’est bien celui où cette amie,
A sur mon flanc, gravé un cœur,
Affichant ainsi son bonheur.
Par tous les temps, toutes les nuits,
Que la lune brille ou qu’elle s’enfuie,
Je me tiens là, c’est mon destin,
Allumé du soir au matin.
Ah j’en verrai passer des gens,
Des petits, des gros et des grands !
J’espère bien vivre encore cent ans,
Et vous croiser de temps en temps… |
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9ème prix : Catherine Chaboissier |
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Temps contre temps
Sur le sable, la mer a dessiné le temps
De courbes et de monts, a retracé la vie
De tous ceux qui veulent encore du bonheur;
Effacer les traces de l’usure du temps
Alliant à la métamorphose de la vie
L’espérance d’un monde quelque peu meilleur.
Mais sur le sable, il ne reste qu’une ombre,
Le spectre d’une romance bien trop sombre.
Rien, rien ne peut renaître d’une fracture,
Les sentiments sont faux et trop illusoires,
On sait déjà mais on veut encore croire
Que le temps a refermé cette blessure.
Mais à vouloir tout prendre, il est déjà tard,
Le passé ne peut revivre, il est déjà trop tard |
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10ème prix : Geneviève Casaburi |
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Thesaurus Pirata
Il cherche dans les flots, les vagues déchaînées,
Les trésors de sa vie, le pirate maudit.
Le vent gonflant le spi, la proue fendant l’écume,
Un horizon sans fin, sans aucune limite,
Il rêve de trouver un pays inconnu,
Et puis, soudain au loin, une forme surgit.
Des monts et des vallées, une île, une patrie,
Sa nouvelle conquête s’offre à son regard,
Sa pupille s’allume, son émoi est immense,
Peut-être est-ce là le terme de sa quête.
Mais le sable doré coule entre ses mains,
Les seuls reflets d’argent sont poissons dans les flots,
Et les fruits des manguiers ne sont pas des rubis.
Il a cherché en vain des nouvelles richesses.
Le voilà reparti vers d’autres horizons.
Il barre son navire vers le soleil couchant,
La mer se couvre d’or, d’argent et de saphir,
Il est là son trésor, sous ses pieds qui scintille. |
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11ème prix : Jean-Philippe Miginiac |
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J’ai retrouvé dans ma mémoire ce troquet hospitalier où un musicien cannibale se rassasiait de notes bleues. Son blues sentait le souffle rauque des nuits urbaines, les sonorités crépusculaires, les brumes incertaines, et son swing reniflait les riffs de mes ténèbres. Sa trompette exhumait hors de cales lugubres et profondes un chant aux lunes furieuses, un long cheminement de tempos brisés et de notes en sourdine qui erraient entre les tables, bras tendus comme des somnambules.
Une vieille femme traînait au bar une odeur d’absinthe, un visage fané, gris de cire, et les images de ses souvenirs. Elle s’enivrait à toutes petites gorgées d’envie de petits bouts de sa vie qui coulaient d’une bouteille magnifique, remplie d’histoires romantiques, et caressait du basalte de sa voix fêlée les sons que la trompette venait partager avec le vin noir de ses mélodies distillées. |
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12ème prix : Laura Maxwell |
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Février. Fin d’après-midi. Les ombres des platanes nus s’étirent sur le trottoir. Anna traverse le boulevard et rentre dans la cabine.Elle ne sait pas que je l’ai suivie. Au téléphone, elle semble inquiète, jetant des regards nerveux autour d’elle, une main appuyée sur la vitre, le bracelet que je lui ai offert à son poignet.
Maintenant, ses lèvres ne bougent plus ; elle regarde fixement du côté du trottoir.
Soudain, un sourire éclaire son visage. Elle se précipite à l’extérieur et se jette au cou d’un homme.
A présent, les ombres noires des platanes se cassent au pied de la façade de l’immeuble.
La lumière froide traverse les vitres souillées de la cabine.
Le récepteur, décroché de sa base, pend comme une tête renversée, celle d’Anna quand je l’étreins et la fais glisser au bord du lit.
En direction de la porte, ils marchent enlacés. La vue de cet homme entourant les hanches de ma femme éclate ma poitrine comme sous l’impact d’une balle dum dum.
Je murmure sans voix :
- Ôte tes mains de ce corps..
Leur tandem est une bombe phosphore qui me brûle de l’intérieur. Je chancèle.
La cabine téléphonique projette au sol des ombres tranchant mes pieds meurtris, tandis que je la regarde disparaître dans les bras d’un autre.
Un réflexe. Un geste involontaire me redresse. Comme une arme, je pointe sur eux mon objectif, déclenchant le dernier cliché de mon amour. |
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13ème prix : Stéphane Prat |
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Des corbeaux au plafond.
Un pan entier de son immeuble avait été arraché, au petit jour, sans préavis. Jean Chesnais s'était levé machinalement et avait constaté l'ampleur des dégâts, encore travaillé par un rêve assez absurde, mais qui se déroulait sur une lande infestée de corbeaux, et qui lui laissait dans l'esprit un goût plutôt agréable, iodé. La coupe avait été nette, dans son immeuble. Habituellement, quand un événement inattendu le poussait à passer la tête par sa fenêtre, il retrouvait son voisin, Gustave Le Manc, accoudé au rebord de sa propre fenêtre. Et le plus souvent ils se mettaient à parler de tout, sauf de l'événement inattendu qui les avaient fait sortir la tête de leur appartement. Mais ce matin , Gustave Le Manc faisait corps avec l'événement inattendu : il avait disparu avec son appartement, avec l'appartement de dessus, avec celui du dessous. Et Jean Chesnais, faute de conversation, finit par se rendormir sur le rebord de sa fenêtre, sur sa vision impossible, des corbeaux au plafond. |
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14ème prix : Annie Pellet |
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Moitié, moitié
Ce matin de Février, il faisait froid. Frissonnante, je me suis glissée dans la photo, je suis allée boire un café rue des Saules, en regardant au travers des vitres impeccables, cachée dans l'ombre des pancartes extérieures, je me suis réchauffée à moitié.
Dans mon moi froid, dans la rue pentue, déserte et interdite, il y avait un bonhomme emmitouflé adossé contre un mur bas à la grille pointue et protectrice. Il lisait, indifférent au monde gris-blanc qui l'entourait. Il attendait? Non, il était là, c'est tout. Tout petit dans son monde figé, dans la perspective des grands arbres échevelés…
Dans mon moi chaud, plus proche, plus gaie, se lovait la boutique verte. Verte? Pas vraiment! Multicolore plutôt. Habillée des rouges, des jaunes, des couleurs chatoyantes, flamboyantes de Toulouse-Lautrec, le Montmartre du french-cancan offert pour quelques sous aux touristes nostalgiques de la Goulue, de Jane Avril, du coup d'pied à la lune et de la fanfreluche indiscrète révélant un éclair de chair interdite au pékin énamouré. Nostalgie de l'époque virevoltante, frémissements d'un nouveau siècle, promesses oubliées d'un monde effervescent… Comme s'il suffisait de monter deux ou trois marches bétonnées pour se réfugier dans l'obsolescence insouciante et abandonner la réalité inhospitalière… |
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15ème prix : Sophie Piquet |
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C'était elle
Il est là, sur cette place.
Elle n'est pas encore là.
Il attend, patiemment.
Va-t-elle venir ? Ici, maintenant ?
Il ne sait pas, il ne sait plus.
Il se demande s'il ne s'est pas trompé de jour, d'endroit…
Mais non, il est certain que c’est là, aujourd’hui.
Et pourtant…
Il regarde la pendule au loin, ils avaient dit cette heure-ci, ce jour-là.
Exactement 60 ans après leur seul et premier rendez-vous.
Cette place… Ce lieu…
C’était il y a bien longtemps…
Ils avaient prévu d’aller manger sur le port après être allés applaudir leur chanteur préféré,
Charles Trénet, au Grand Hôtel. Ah ! Le grand Charles ! La vedette de l’époque !
Il s’en souvient comme si c’était hier.
Elle était arrivée avec un peu de retard (oui, déjà pas très ponctuelle), elle était apparue dans sa belle robe.
On aurait dit une actrice américaine. « Joan Crawford n’a qu’à bien se tenir ! » s’était-il dit.
Ils avaient dîné vite fait, étaient allés voir leur idole, mais n’étaient guère à son écoute.
Ils étaient seuls au monde. Le monde pouvait s’écrouler, qu’importe. Ils étaient là, tous les deux, c’est là tout ce qui comptait.
Le temps s’était arrêté l’espace d’un instant.
Il détourna son regard de l’horloge.
Il l’aperçut au loin… « Toujours aussi belle ! » pensa-t-il.
Il n’osait bouger… Que d’émotions après tant d’années !
L’amour de sa vie ! La vie avait enfin décidé de les réunir ! |